Les trois reniements de Pierre (Jean Robin - 1992)

Aussi déplaisante que soit cette tâche, nous ne pouvons éviter de nous attarder un peu sur la décomposition du catholicisme romain, dont il est hélas prévisible qu'il sera utilisé par la puissance des ténèbres. Il faut se souvenir ici que saint Pierre fut crucifié la tête en bas, «payant » ainsi son triple reniement du Christ, « avant que le coq ait chanté deux fois ». Ces trois défaillances du prince des Apôtres préfiguraient respectivement la « Donation de Constantin », avec toutes les compromissions temporelles et la « solidification » dont elle était virtuellement porteuse [1] ; le procès des Templiers, qu'il n'y a pas lieu de commenter davantage ; et le désastreux concile Vatican II, bien sûr.

Si cette « solidification » imposée à Rome par son pouvoir temporel fut très justement stigmatisée par Dante comme une malédiction, il faut admettre que ces structures revêtirent au Moyen Age — eu égard au contexte européen — un aspect « sacrificiel » et providentiel. Mais les aspects négatifs de cette « coagulation » contenus en germes, se manifestèrent sans obstacles à l'époque moderne, pour aboutir à la... dissolution engendrée par Vatican II.

Rendue vulnérable par son enracinement temporel, son appareil « bureaucratique » et son centralisme, Rome — ou plutôt le Vatican — devait succomber avant la Seconde Venue, conformément aux terribles paroles du Christ à Pierre « Retire-toi de moi, Satan ! » Le symbolisme maléfique de l'âne, qui sous la figure la plus courante de l'âne rouge, est l'« emblème » de la contre-initiation de filiation sétienne, nous fournira ici la clef de cette tragédie. Selon le Kalki Purâna, le Kali-Yuga, l'âge sombre dont nous atteignons le terme, a l'âne pour monture. Il est donc surprenant de voir le Christ lui-même chevaucher un âne lors de son entrée triomphale à Jérusalem. C'est que, selon Guénon, l'âne symbolise ici les puissances maléfiques dominées et domptées par le Sauveur. Mais, toujours selon les lois de l'analogie inverse, à la fin, un certain christianisme — celui-là même qu'a maudit le Christ — en vient à servir de véhicule aux forces typhoniennes.

Le Vatican lui-même, en la personne d'un de ses « distingués » représentants, en a laissé échapper l'aveu récemment. En décembre 1987 en effet, le consulteur de la Congrégation du Clergé déclarait que le célèbre graffito du mont Palatin (montrant un chrétien agenouillé devant un homme à tête d'âne crucifié), était en fait une représentation chrétienne dans laquelle l'âne identifié au Sauveur, revêtait un aspect totalement positif [2]. On frémira en se souvenant que pour Guénon ce graffito reflétait un des plus hideux mystères du monde infernal...

Par un de ces intersignes que nos contemporains ne savent plus reconnaître, on a déjà pu voir, sinon « l'Abomination de la Désolation » installée dans le sanctuaire, du moins sa très... parlante préfiguration : le pentecôtisme, ou charismatisme, dont il convient d'autant plus de souligner le caractère ténébreux qu'il pourrait passer aux yeux de certains pour une nouvelle insufflation de l'Esprit, voire une remanifestation de l'initiation chrétienne, dont il offre en fait une assez remarquable parodie.

Cela n'a d'ailleurs rien de très étonnant puisque le pentecôtisme relève d'un processus de subversion du christianisme — par confusion du psychique et du spirituel — dont l'origine remonte au « Grand Réveil » (Revival) qui « ressuscita » au XVIIIe siècle le protestantisme anglo-saxon, sur lequel ce premier « retour de l'Esprit » aussi suspect qu'incongru, devait laisser une empreinte ineffaçable. Ses premières manifestations eurent lieu comme par hasard en Amérique du Nord, avant de susciter le « Réveil évangélique » ou « méthodiste » en Grande-Bretagne. Ces « réveils » eurent un incontestable effet de stimulation morale (et non pas spirituelle...) sur la société anglo-saxonne de l'époque, tombée dans un état de dégradation que se gardaient bien d'évoquer ces anglophiles impénitents qu'étaient les Encyclopédistes. Cette désagrégation morale et intellectuelle n'est d'ailleurs pas sans évoquer la société occidentale contemporaine, qui ne devra elle aussi sa survie temporaire et illusoire qu'à une parodie de spiritualité.

Quoi qu'il en soit, le triomphalisme, l'élan missionnaire, l'alliance de la «  bonne conscience » et des « bonnes affaires » caractéristiques de la mentalité américaine durent donc à ... l'« Esprit Saint » de se manifester de façon aussi arrogante jusqu'à nos jours. Il n'y a en effet aucune solution de continuité dans la transmission de certaines influences, et, pour s'en tenir à l'aspect le plus extérieur, les assemblées très « agitées » du XVIIIe siècle trouvent un prolongement naturel dans les grands rassemblements de plein air, tel celui de Topeka, dans le Kansas où, au début de notre siècle, fut formulée pour la première fois la doctrine assimilant la glossolalie à un témoignage irréfragable du baptême de l'Esprit. Mais c'est en 1906, à Los Angeles, au cœur de cette Californie désignée par Guénon, dans sa correspondance, comme un centre secondaire de la contre-initiation, que fut définitivement officialisé ce lien entre le « parler en langues » et le baptême du Saint-Esprit. De Los Angeles jaillit ainsi le feu qui allait embraser la communauté chrétienne (y compris catholique) d’une ténébreuse ardeur.

Après l’effervescence « charitable »  de ses débuts, le pentecôtisme négligea quelque peu les questions sociales, ce que certains ne manquèrent pas de lui reprocher. Sans doute fallait-il que les charismatiques eussent tout loisir de se consacrer, inconsciemment bien sûr, à une entreprise de dissolution psychique mieux accordée aux nécessités de la deuxième phase du plan antitraditionnel : la réouverture dans le mur du matérialisme, de brèches permettant aux influences subtiles d'ordre inférieur — à l'exclusion de toute influence authentiquement spirituelle — de se manifester impunément dans notre monde. Une étude rapide du mouvement charismatique va nous en convaincre.

Commençons par son aspect le plus extérieur et le plus spectaculaire, et donc bien propre à séduire le grand nombre, victime de sa « superstition du fait » et de son goût pour les phénomènes caractéristiques de cette confusion du psychique et du spirituel par quoi se perd notre époque. Nous voulons parler de la curieuse théologie charismatique relative à la maladie. On sait en effet que l'un des arguments « publicitaires » des assemblées charismatiques réside dans les « guérisons miraculeuses » pratiquées en série et programmées en toute simplicité : « Évangélisation et guérison divine, dimanche 15 h 30 »… Ce qui implique que la maladie, pour être vaincue sur demande, ne puisse être que le fruit du péché. (Le nombre des saints du christianisme et de toutes les traditions en état peccamineux devient dans ce cas un grave sujet de perplexité !) Cette banalisation de miracles douteux contredit en fait à angle droit ces paroles de saint Augustin : « Illud mirantur homines, non quia majus est, sed quia rarum est. » En réalité, le mouvement charismatique constitue pour les influences ténébreuses un véritable « Cheval de Troie » (entendu cette fois au sens le plus littéral) leur permettant de s'infiltrer au sein de l'Église et même, déjà, d'y triompher.

Car il ne s'agit pas là d'un courant marginal qui serait tout juste toléré. Le pentecôtisme (dont on semble avoir oublié en route qu'il vit le jour au sein des milieux les plus « illuminés » et les plus évidemment suspects du protestantisme américain) a, il y a dix-sept ans déjà, trouvé sa consécration au plus haut niveau de l'Eglise officielle. Le lundi de Pentecôte 1975, en effet, en la basilique Saint-Pierre de Rome, et au cours d'une messe concélébrée par un cardinal... et sept cent cinquante prêtres, à l'occasion du Congrès international du Renouveau charismatique, on entendit de la bouche d'un laïc cette étrange « prophétie », confirmée très démocratiquement par les applaudissements prolongés du public, et en premier lieu des évêques présents : […] Je veux conduire mon peuple à une unité nouvelle […] J’ai commencé de renouveler mon Église. Je veux conduire le monde à la liberté [3]. » Et pour que la fête fût complète, on dansa, pour la première fois, sous le dôme de Saint-Pierre.

Voilà pour l'Abomination dans le lieu saint. Quant à la parodie d'initiation, nous en prendrons encore la preuve chez H. Mülhen, commentant des recherches récentes selon lesquelles le baptême d'eau pour la rémission des péchés « était clairement distinct à l'époque la plus ancienne de l'imposition des mains (comme signe de la continuation de l'expérience de la Pentecôte) ». C'est tout à fait ce que disent les chrétiens d'esprit authentiquement traditionnel, qui tirent néanmoins de cette constatation (et sans qu'il soit besoin de  « recherches ») des conclusions quelque peu différentes ! Heribert Mülhen, pour que les choses soient parfaitement claires et doctrinalement impeccables (Satan, n'est-ce pas, est habile théologien, s'il est piètre métaphysicien), spécifie bien que le Saint-Esprit est aussi présent dans le baptême d'eau, signe d'incorporation à l'Église, mais que seule l'imposition des mains confère l'initiation. On ne saurait être plus orthodoxe. Qu'on en juge d'après les Écritures :

«A la nouvelle que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu, les Apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean. Une fois descendus, ils prièrent pour eux, afin qu'ils reçoivent l'Esprit Saint. Car il n'était encore tombé sur aucun d'eux ; ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors [Pierre et jean] leur imposèrent les mains, et ils recevaient l'Esprit Saint [4]. »

La suite n'est pas moins importante, qui illustre pour la première fois dans l'histoire du christianisme la notion de « péché contre l'Esprit », ou de tentative de perversion, non pas de l'exotérisme, mais de l'ésotérisme. Cet épisode est à n'en pas douter d'un riche symbolisme, relativement au pentecôtisme actuel :

« Quand Simon vit que l'Esprit était donné par l'imposition des mains des Apôtres, il leur offrit de l'argent, en disant : "Donnez-moi ce pouvoir à moi aussi, pour que celui à qui j'imposerai les mains reçoive l'Esprit Saint". »

On peut tenter d'acheter à prix d'argent les pouvoirs que confère l'Esprit ; on peut aussi payer de son âme la parodie de ces pouvoirs ! Il n'est pour s'en convaincre que d'écouter saint Jean de la Croix [5] :

« Aussi le démon est-il très satisfait quand il rencontre une âme qui désire des révélations ou s'y porte. Il a alors une occasion facile de lui suggérer ses erreurs et de la détourner de la foi autant qu’il le pourra, car ainsi que je l’ai dit : cette âme qui désire des révélations, se met dans une disposition très contraire à la foi et s’attire beaucoup de tentations et de dangers. »

Mais poursuivons, après l'étude de ses fondements scripturaires subvertis, l'examen de cette pseudo-initiation pentecôtiste. Selon K. et D. Ranaghan [6], « le rôle du leader [entendez : de l'initiateur] devient crucial […] Or c'est à des gens qualifiés pour cela qu'il faut vous adresser. Eux jugeront si votre demande est acceptable.

« Le rite sera ensuite pratiqué soit par un seul, soit par plusieurs, soit par toute la communauté. On l'accompagnera d'une prière d'invocation, ou d'exclamations ou de bruits indistincts [!!].

« Il doit en résulter, normalement, une infusion de charismes. »

On a donc là très clairement énoncées les deux conditions requises pour la validité d'une initiation : la qualification de l'aspirant et la transmission rituelle d'une influence spirituelle. La parodie est donc doctrinalement et « opérativement » complète. Néanmoins, les véritables influences à l'œuvre derrière le mouvement charismatique ne peuvent éviter de signer leur présence, permettant par exemple à un dominicain lucide, le père Calmel, de stigmatiser cette « nouvelle forme de sorcellerie qui se réclame de l'Esprit saint ». Un article des Informations Catholiques Internationales en date du 1er octobre 1975 livrait en effet un curieux témoignage sur les méthodes de certains groupes charismatiques américains.

« Une nuit, sans avertissement [...], le membre en question était arraché à son sommeil, emmené dans une pièce obscure, interrogé sans répit par le « coordinateur » de sa maison jusqu'à ce qu'il reconnaisse ses erreurs. On lui demandait alors une confession générale de tous ses péchés depuis l'enfance. Le coordinateur l'exorcisait — en utilisant le rite catholique romain — et parfois brûlait ses vêtements et ses livres. Il lui extorquait des promesses (comme celle de renoncer à des titres universitaires par humilité) et lui faisait jurer de ne pas confier à un prêtre ce qu'on venait de pratiquer à son égard. » Une des « marques » les plus caractéristiques de l'inversion charismatique, le « parler en langues » dont les (vrais) exorcistes des siècles passés n'ignoraient pas l'origine — a même été involontairement décelée par un journaliste, Pierre Gallay, qui est hélas bien loin d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Il écrivait en effet dans la revue Le point du 15 avril 1974 :

« Danc certaines cures psychanalytiques, le « parler en langues intervient couramment : il est considéré comme une preuve d'équilibre retrouvé, le signe que le malade est à nouveau en accord avec ses tendances profondes et qu'il les domine. Selon l'école de Jung, le phénomène confirmerait l'existence d'un "inconscient collectif de l'homme", mémoire héréditaire accumulée depuis le fond des temps [...]. » 

Ce rapprochement avec la cure (nous dirions plutôt avec l'empoisonnement) psychanalytique, parfaitement justifié au demeurant, est non moins édifiant, si l'on veut bien se souvenir que Guénon y voyait un « sacrement du diable » parodiant lui aussi l'initiation, avec « la nécessité imposée, à quiconque veut pratiquer professionnellement la psychanalyse, d'être préalablement "psychanalysé" lui-même ». Et de poser cette question embarrassante qui concerne aussi bien le charismatisme : « [...] comme l'invention de la psychanalyse est d'ailleurs chose toute récente, d'où les premiers psychanalystes tiennent-ils les "pouvoirs" qu'ils communiquent à leurs disciples, et par qui eux-mêmes ont-ils bien pu être "psychanalysés" tout d'abord [8] ? »

Ce coup de projecteur sur les abysses de la Psychanalyse n'en rend que plus inquiétant le pentecôtisme, où les mêmes influences sont manifestement à l'œuvre. Nous noterons enfin un petit « détail » glané dans un livre du père M. Benoît Lavaud [9], que sa relative ancienneté rend d'autant plus précieux. Il s'agit du compte rendu d'une assemblée pentecôtiste tenue à Toulouse en 1953, et dans laquelle le meneur de jeu expose les articles du credo pentecôtiste : « Feuilletant la Bible avec dextérité, il aboutit très vite à l'Apocalypse, qui a nettement pour lui la préséance sur les autres textes sacrés. Je retiens au passage un petit trait bizarre : la promotion des "soucoupes volantes" à la dignité de signe avant-coureur du Retour. "En effet, explique l'orateur, le Retour de Jésus ne se fera pas brusquement, il se manifestera graduellement ; les "croyants" évidemment l'ont déjà discerné ; quant aux autres, qu'ils se convertissent vite, s'ils ne veulent pas, comme les vierges folles, trouver la porte fermée". »

En 1953 déjà ! On comprendra plus loin à quel point cette mention des OVNI est lourde de menaces pour l'ensemble de la communauté chrétienne. Pour l'heure, le rôle de plus en plus important joué par le charismatisme engendre fatalement le pessimisme quant à la situation de l'Église « vaticane » qui, symbolisme oblige, n'a pas manqué de renier l’image visible du Christ en livrant le Saint-Suaire de Turin aux profanations de manipulateurs scientistes et en en cautionnant – « avec soulagement ! » - les conclusions truquées [10]

Muttais mutandis, si les Églises orientales autocéphales devaient être relativement préservées, l'orthodoxie russe allait, pour les mêmes raisons que Rome, subir un sort, non pas identique mais analogue, ainsi que nous l'avons vu en évoquant le rôle de Pierre le Grand. La vocation « impériale » de Moscou et le nom même de troisième Rome qu'on lui attribua ne sont certes pas étrangers à cette perversion de la tradition, par le biais de ce « messianisme « slave » d'autant plus redoutable que selon Guénon [11], « les Slaves n'ont qu'une intellectualité réduite en quelque sorte au minimum »... (C'est d'ailleurs pourquoi, par compensation providentielle, leur est échue, avec l'orthodoxie, la forme la plus haute du christianisme.) La réconciliation russo-vaticane laisse donc présager de bien tristes lendemains, aussi paradoxal que puisse paraître ce jugement à nombre de « traditionalistes » séduits par ces signes de « renouveau spirituel »... La fausse apparition de Fatima, avec sa prédiction annonçant la conversion de la Russie, a là-dessus beaucoup à nous dire ! Née à l'ombre du centre islamo-chrétien et graalique de « Sarras », vivifiée par les influences atlantéennes qui empoisonnent le Portugal, Fatima, en se recommandant faussement de la fille du Prophète, se présente à tous égards comme l'anti-Lourdes (où nous verrons le rôle du « Sarrasin » Mirat...). Il n'est pas jusqu'à cette date de 1917, celle-là même de la révolution bolchevique et de l'établissement du Foyer juif en Palestine, sous de sinistres auspices, qui ne soit hautement significative. Mais selon un paradoxe qui n’est pas rare en ce genre de manipulatios, on choisit un support dont l'innocence et la qualité sont en quelque sorte inversement proportionnelles au rôle qu'on voulut lui faire jouer. Sœur Lucie, seul témoin encore vivant des « apparitions », est une grande chrétienne à qui la Vierge, la vraie, est apparue plus tard, car on se doute que le Ciel n'abandonne jamais de tels êtres.

Cela dit, la malignité essentielle de la fausse apparition réside dans sa dénonciation unilatérale du communisme (en « oubliant » l'autre pôle luciférien constitué par l'Amérique capitaliste), et bien sûr dans cette annonce de la conversion de la Russie qui prend aujourd'hui tout son sens... parodique. Car en fait de conversion, c'est d'un déchaînement néo-spiritualiste qu'il s'agit, servant bientôt de « support spirituel » (!) à l'Empire russe reconstitué, et dont Fatima et son contexte islamique préfigurent déjà le pseudo-universalisme, intégrant cet Islam ex-soviétique passablement adultéré, indispensable au Grand Œuvre de la Subversion. N'en déplaise aux prophètes de l'« Empire éclaté », ce dernier sera au contraire si bien « recomposé » qu'il constituera avec la France et l'Allemagne, l'une des trois composantes majeures de cette contrefaçon du Sanctum Regnum qui se prépare actuellement dans la fièvre.

Ajoutons enfin que Guénon et Pie XII échangèrent au sujet de Fatima une brève correspondance, qui ouvrit les yeux du pape sur son erreur. En faisant à la lettre de Guénon l'accueil qui convenait, il manifestait une « qualité » dont on pouvait d'ailleurs se douter puisque ce grand pape eut lui-même, on le sait, le privilège d'assister à un phénomène céleste dont la « danse du soleil » de Fatima était justement la parodie. Il ne faut sans doute pas chercher ailleurs que dans cette mise en garde de Guénon, l'attitude totalement déconcertante, pour les traditionalistes mal éclairés, de celui qui s'était voulu jusque-là le « Pape de Fatima » : lorsque le 16 avril 1957 le fameux « Troisième Secret » arriva à Rome, Pie XII ne le lut pas et n'en parla plus. Comme l'écrit un dévot de Fatima [12] attristé par le comportement du pape, ce dernier préférait désormais « parler le moins possible de Fatima, ou dans les termes les plus vagues qui détournaient les fidèles de ce foyer d'attraction et de cette date de 1960 de plus en plus vivement attendue. Et ce fut ainsi que, durant la dernière année de son pontificat, le nom de Fatima disparut totalement de ses discours. »

Cela étant, le sillage de fumée accompagnant ces ténébreuses comètes que sont les fausses apparitions, offre toujours à la contre-initiation de multiples possibilités : la querelle entre catholiques « intégristes » et « romains », à propos de Fatima, ne peut que profiter à ces derniers, eu égard au tour pris par les événements, qui attesteront sans doute bientôt que les demandes de la « Vierge » ont été respectées, et que la Russie a bien été « consacrée au Cœur Immaculé de Marie » par le pape, selon les modalités requises. De fausses lettres de sœur Lucie, en ce sens, suggèrent déjà ce deuxième degré de la manipulation.

Alors, comment, dans ce climat délétère s'étendant à toute la chrétienté, interpréter les paroles du Christ relatives à l'invincibilité de son Église, contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront pas ? Car c'est bien de l'Église qu'il s'agit et non du seul « noyau » ésotérique par définition incorruptible. De toute façon, le sort de cet ésotérisme, représenté par Jean, a fait l'objet d'une autre prophétie du Christ, bien distincte, lorsque, s'adressant à Pierre, précisément, il déclara : « Si je veux qu'il [Jean] reste jusqu'à ce que je revienne, que t'importe. Toi, suis-moi. »

Ces prophéties et ces exhortations christiques sont de prime abord difficiles à comprendre puisque la pérennité promise à l'Eglise semble s'accompagner de l'occultation de Pierre. Cette apparente difficulté se résout en fait très facilement si l'on admet que l’Eglise visible est destinée à subir le sort de son premier évêque mais que, conformément à la promesse du Christ, le « Dépôt de Pierre » — cette influence spirituelle spécifique, tout à la fois « eau de vie » jaillissant du trône de Dieu et de l'Agneau dans la Jérusalem céleste, et pierre de fondement analogue au Saint Graal, sans laquelle la succession apostolique elle-même deviendrait invalide — sera préservé jusqu'à la fin. Jusqu'à ce que la « pierre de sommet » constituée par le Christ vienne parachever l'édifice mystique de l'Église. Ceci exige quelques explications d'ordre historique, mais auparavant, il nous paraît opportun de rappeler ces lignes de Guénon extraites de La Crise du Monde moderne [13], écrites alors que tout ne pouvait encore être dit

« Il serait quelque peu paradoxal de voir le catholicisme intégral se réaliser sans le concours de l'Église catholique, qui se trouverait peut-être alors dans la singulière obligation d'accepter d'être défendue, contre des assauts plus terribles que ceux qu'elle a jamais subis, par des hommes que ses dirigeants, ou du moins ceux qu'ils laissent parler en leur nom, auraient d'abord cherché à déconsidérer en jetant sur eux la suspicion la plus mal fondée [...]. »

C'était, souvenons-nous, à l'époque où certains milieux « néo-thomistes » avaient contraint Guénon à interrompre sa collaboration à Regnabit, la revue du père (et évêque de la Sainte église) Anizan, et où ce dernier était lui-même en butte aux tracasseries de ses supérieurs apparents. Cela étant rappelé, nous pouvons étudier maintenant la naissance « historique » de cette Sainte Eglise par laquelle se réalisent les promesses du Christ.

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[1] Voici ce qu'en disait au XIIIe siècle Walther von der Vogelweide : « L'empereur Constantin combla le siège de Rome de plus de dons que je ne pourrais en énumérer ; il lui donna l'épée, la croix et la couronne. A cette vue, un ange s'écria à haute voix : "Malheur ! Malheur ! trois fois malheur !..." La chrétienté se tenait debout, resplendissante de beauté, et maintenant un poison se glisse dans ses veines ; le doux miel de l'Église se change en un fiel amer, et ces dons coûteront bien des larmes au monde !... En effet, les princes ne vivent que par les honneurs qu'on leur rend ; et le plus grand d'entre eux est méprisé. Voilà ce qu'a fait le pouvoir des prêtres. Que nos plaintes en montent jusqu'à toi, Dieu de bonté ! Les prêtres veulent ravir aux laïques tous leurs droits ; l'Ange nous avait dit vrai. »

[2] Cf. « Vecchie e nuove teste d'asino », Orion, n° 42, mars 1988.

[3] Cf. Heribert Mülhen, « Vous recevrez le don du Saint-Esprit », t.1, Centurion, 1982.

[4] Actes, VIII, 14-17.

[5] La Montée au Carmel, livre II, chap. X.

[6] Le Retour de l'Esprit, éd. du Cerf.

[7] Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chap. XXXIV.

[8] Cette question revêt une signification toute particulière si l'on sait que la psychanalyse n'est autre que la forme « édulcorée » et vulgarisée de l'un de ces rites contre-initiatiques sétiens qui entraînent ipso facto la chute du récipiendaire dans les « ténèbres extérieures », autrement dît la désintégration post mortem de l'être dans les bas-fonds du psychisme cosmique. Si la psychanalyse a des effets moins redoutables, elle n'en empêche pas moins pendant fort longtemps l'individu, relégué après sa mort à la périphérie de l'état humain dans sa modalité subtile, de pratiquer une tradition et donc d’œuvrer activement à son salut — i.e. à sa réintégration au centre dudit état. Car contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'être, doté après sa mort d'une lucidité accrue à l'égard de sa condition, n'est pas privé d'initiative, et peut même s'agréger à des collectivités analogues en somme aux organisations initiatiques terrestres. Les seules choses dont il est privé étant bien sûr la mémoire de sa vie passée (qu’il retrouve, transmuée, en réintégrant l'état primordial) et la liberté — inhérente à l'existence physique — d'entrer en contact avec des êtres d'une typologie différente de la sienne. En d'autres termes, on ne fréquente dans l'au-delà que des êtres à notre ressemblance...

[9] Sectes modernes et foi catholique, éd. Aubier, 1954.

[10] La prétendue datation au carbone 14 (dont les vrais spécialistes, en une telle occurrence, savent ce qu'il faut penser), donnait un résultat tellement contradictoire avec les constatations les plus évidentes déjà effectuées sur la sanctissime relique, que Le Monde du 14 octobre 1988 (peu suspect pourtant de complaisance à l'égard du Sacré et de la Tradition !) ne pouvait s'empêcher d'exprimer, par la plume d'Yvonne Rebeyrol, une compréhensible perplexité…

[11] Introduction générale à l'étude des Doctrines hindoues, éd. Traditionnelles.

[12] Frère Michel de la Sainte Trinité, Toute la Vérité sur Fatima (t. 3), La Contre-Réforme Catholique, s.d. (1985).

[13] Éd. Gallimard.

(Jean Robin, Le Royaume du Graal (1992), ch. XXXIV)

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